Bernard Comment, “En mer”

A scholarly edition prototype, including born-digital and paper genetic materials

Transcriptions

Samples of the text from various genetic witnesses have been transcribed here. The samples have been chosen at different moments of the story: the beginning, two internal passages and the end. The selection has been made for this prototype and would not be enough for an exhaustive study of the genesis of "En mer".

Transcription of A-3-e-16 (genetic witness of Tout passe, 2011)

To the witness description

En mer
[Passage 1, p. 108]
Regardez-moi ces autres, j'entends ceux de la terre, parce que nous on est de l'eau, et ça fait une grande différence
C. F. Ramuz, La beauté sur la terre

— Tu m'en veux? — Non. — Mais tu avais espéré que je t'accompagnerais? — Oui.

De loin, je n'avais pas d'abord vu que la tache rouge de son d'un coupe-vent de nylon. Elle était Une silhouette assise sur la banquette arrière de la petite vedette de Paolo Raoul . Ensuite, j'ai mieux distingué la chevelure, longe et noire. Louise portait une coupe garçonne, à l'époque, presque en brosse, mais tout cela a bien sûr eu le tempds de pousser, en dix ans. C'est quand elle est parvenue sur le pont, après une escalade maladroite de l'échelle, que je l'ai vraiment reconnue. Louise portait une coupe garçonne, à l'époque, presque en brosse, mais tout cela a bien sûr eu le tempds de pousser, en dix ans. La Elle a gardé la même sveltesse qu'autrefois, et presque une sort de maigreur sur le visage, très pâle autour de ses yeux verts à facettes, comme deux émeraudes piquées de soufre. Je m'attendais si peu à la voir. Il ne vient jamais de visite, ici, en-dehors de Paolo Raoul chaque mercredi vers onze heures, mais il ne s'attarde pas, et une fois sur deux il oublie les livres que je lui ai demandés, ou il prétend qu'ils ne sont pas arrivés. [...]

[Passage 2, p. 113]

Louise s'est installée dans un des fauteils du « salon ». L'inclinaison du sol la perturbait, j'a même cru qu'elle allait se sentir mal. Tandis que sur ce siège redressé par des cales sous les deux pieds de gauche, elle retrouve son aise, et presque le sourire. Elle aurait voulu que j'aère un peu. Ça sentait le renfermé. On respirait mal. Mais j'ai tout de suite prévenu son geste. À cause de la mouche. Enfin, je ne lui ai pas parlé de la mouche, elle n'aurait pas copris, ou se serait moquée de moi. D'ailleurs, il fait très froid dehors, et Ici le vent souffle fort, surtout en soirée.

[Passage 3, p. 125]

— Est-ce que tu les as abandonnés... juste après mon départ? — Je n e les ' ai pas abandonnés, Léo. On m'a chassée. Expulsée de chez moi, du jour au lendemain. Il était bien placé pour tout comprendre. L'immaculée conception! Je crois que p P endant toutes ces années, il ne s'était douté de rien. Il me prenait pour une femme étrange, un peu folle peut-être, mais il s'en était fait une raison. Il me tolérait. Tout le monde me tolérait. Sa famille, ses enfant. Nos enfants. J'étais encore plus étrangère que toi, dans ce pays. C'est pas seulement une affaire de passeport. Mais là, c'était trop pour lui. Il ne pouvait pas avaler l'affront. Il n'a vu que ça, l'affront.

C'est à moi qu'elle dit ça... Si j'en avais eu un, de passeport, j'aurais au moins pu toucher une rente invalidité. Mais elle retrouve tout à coup le sourire, presque désinvolte. Elle se lève, ouvre des tiroirs, remue les affaires sur la table, s'accroche à un meuble, elle voudrait une cigarette, elle a tellement envie de fumer, je lui dis qu'elle ne trouvera rien, elle ferait mieux de penser à autre chose. Elle me fixe du regard, elle hausse les sourcils, et se gratte la joue droite, avec l'index, elle se ronge toujours autant les ongles, jusqu'au sang.

[Passage 4, p. 130]

[...] La direction n'y trouverait rien à redire. Chaque être humain a droit à un peu de compagnie, et pendant toutes ces années, je n'avais pas coûté cher. Toujours cet esprit pratique qui ne le quitte pas. J'apporterai des doubles portions, qu'il a encore crié depuis sont petit bateau, avec un grand sourire.

Doubles portions, c'est peut-être beaucoup. Elle mange tellement peu. Je lui ai fait de grands signes amicaux avec les bras, en me disant que je donnerais le surplus aux poissons. Je n'ai jamais aimé avoir des armoires qui se remplissent trop. C'est encore un fil à xx xxxxx

Transcription of A-3-e-18 (genetic witness of Tout passe, 2011)

To the witness description

En mer
[Passage 1, p. 91]
Regardez-moi ces autres, j'entends ceux de la terre, parce que nous on est de l'eau, et ça fait une grande différence
C. F. Ramuz, La beauté sur la terre

De loin, je n'avais pas d'abord vu que la tache rouge d'un coupe-vent de nylon. Une silhouette, assise sur la banquette arrière de la petite vedette de Raoul. Ensuite, j'ai mieux distingué la chevelure, longe et noireblonde. C'est quand elle est parvenue sur le pont, après une escalade maladroite de l'échelle, que je l'ai vraiment reconnue. Louise portait une coupe garçonne, à l'époque, presque en brosse, mais tout cela a bien sûr eu le tempds de pousser, en près de sept ans. Elle a gardé la même sveltesse, et une sort de maigreur sur le visage, très pâle autour de ses yeux verts à facettes, comme deux émeraudes piquées de soufre. Il ne vient jamais de visite, ici, en-dehors de Raoul qui m'apporte le ravitaillement, chaque mercredi vers onze heures, mais il ne s'attarde pas, et une fois sur deux il oublie les livres que je lui ai demandés, ou il prétend qu'ils ne sont pas arrivés. [...]

[Passage 2, p. 94]

Louise aurait vouluvoulait que j'aère un peu. Ça sentait le renfermé. On respirait mal. Mais j'ai tout de suite prévenu son geste. À cause de la mouche. Enfin, je ne lui ai pas parlé de la mouche, elle se serait moquée de moi. Je lui ai dit qu'ici, le vent soufflait fort, surtout en soirée. Elle m'a regardé d'un air moqueurtroublé, en restant silencieuse.

[Passage 3, p. 103]

— Est-ce que tu as abandonné... juste après mon départ? — Je n'ai pas abandonné, Léo. On m'a chassée. Expulsée de chez moi, du jour au lendemain. Il était bienle mieux placé pour tout comprendre. Pendant toutes ces années, il ne s'était douté de rien. Il me prenait pour une femme étrange, un peu folle peut-être, mais il s'en était fait une raison. Il me tolérait. Tout le monde me tolérait. Sa famille, ses enfant. Nos enfants. Mais là, c'était trop pour lui. Il ne pouvait pas avaler l'affront.

Elle se lève, ouvre des tiroirs, remue les affaire posée sur la table, s'accroche à un meuble, elle voudrait une cigarette, elle a tellement envie de fumer, je lui dis qu'elle n'en trouvera pas, elle ferait mieux de penser à autre chose. Elle me fixe du regard, hausse les sourcils, se gratte la joue droite, avec l'index. Un beau doigt long, effilé. Mais elle se ronge toujours autant les ongles, jusqu'au sang.

[Passage 4, p. 107]

[...] La direction n'y trouvera rien à redire. J'apporterai des doubles portions, qu'il a encore crié depuis sont petit bateau, avec un grand sourire. Je lui ai fait de grands signes amicaux avec les bras tandis qu'il s'éloignait, en me disant que je donnerais le surplus de nourriture aux poissons. Je n'ai jamais aimé avoir des armoires qui se remplissent trop.

Transcription of A-3-e-20 (genetic witness of Tout passe, 2011)

To the witness description

En mer
[Passage 1, p. 44]
I

De loin, je n'avais pas d'abord vu que la tache rouge d'un coupe-vent de nylon. Une silhouette, assise sur la banquette arrière de la petite vedette de Raoul. Ensuite, j'ai mieux distingué la chevelure, longe et blonde. C'est quand elle est parvenue sur le pont, après une escalade maladroite de l'échelle, que je l'ai vraiment reconnue. Louise portait une coupe garçonne, à l'époque, presque en brosse, mais tout cela a bien sûr eu le tempds de pousser, en près de sept ans. Elle a gardé la même sveltesse, et une sort de maigreur sur le visage, très pâle autour de ses yeux verts à facettes, comme deux émeraudes piquées de soufre. Il ne vient jamais de visite, ici, en-dehors de Raoul qui m'apporte le ravitaillement, chaque mercredi vers onze heures, il ne s'attarde pas, une fois sur deux il oublie les livres que je lui ai demandés, ou il prétend qu'ils ne sont pas arrivés. [...]

[Passage 2, p. 45]
II

Louise voulait que j'aère un peu. Ça sentait le renfermé. On respirait mal. Mais j'ai tout de suite prévenu son geste. À cause de la mouche. Enfin, je ne lui ai pas parlé de la mouche. Je lui ai dit qu'ici, le vent soufflait fort, surtout en soirée. Elle m'a regardé d'un air troublé, en restant silencieuse. [...]

[Passage 2a, p. 45]

[...] C'est un peu comme les dominos. J'enchaîne, par association d'idées. Au fond, rien n'est compliqué, dans l'absolu. Et puis, comme disait je ne sais plus qui, «« la solitude est l'infirmerie des âmes »».

[Passage 3, p. 49]

— Est-ce que tu as abandonné... juste après mon départ? — Je n'ai pas abandonné, Léo. On m'a chassée. Expulsée de chez moi, du jour au lendemain. Il était le mieux placé pour comprendre. Pendant toutes ces années, il ne s'était douté de rien. Il me prenait pour une femme étrange, un peu folle peut-être, mais il s'en était fait une raison. Il me tolérait. Tout le monde me tolérait. Sa famille, ses enfant. Nos enfants. Mais là, c'était trop pour lui. Il ne pouvait pas avaler l'affront.

Elle se lève, ouvre des tiroirs, remue les affaire posée sur la table, s'accroche à un meuble, elle voudrait une cigarette, elle a tellement envie de fumer, je lui dis qu'elle n'en trouvera pas, elle ferait mieux de penser à autre chose. Elle me fixe du regard, hausse les sourcils, se gratte la joue droite, avec l'index. Un beau doigt long, effilé. Mais elle se ronge toujours autant les ongles, jusqu'au sang.

[Passage 4, p. 51]

[...] La direction n'y trouvera rien à redire. J'apporterai des doubles portions, qu'il a encore crié depuis sont petit bateau, avec un grand sourire. Je lui ai fait de grands signes amicaux avec les bras tandis qu'il s'éloignait, en me disant que je donnerais le surplus de nourriture aux poissons. Je n'ai jamais aimé avoir des armoires qui se remplissent trop.

Transcription of A-17-a En mer, récit version longue (genetic witness of the radio version, 1998)

To the witness description

EN MER
[Passage 1, p. 2]

De loin, je n'avais d'abord vu que la tache rouge de son coupe-vent de nylon. Elle était assise sur la banquette arrière de la petite vedette de Paolo. Ensuite, j'ai mieux distingué la chevelure, longue et noire. Louise portait une coupe garçonne, à l'époque, presque en brosse, mais tout cela a bien sûr eu le temps de pousser, en dix ans. C'est quand elle est parvenue sur le pont, après une escalade maladroite de l'échelle, que je l'ai vraiment reconnue. La même sveltesse qu'autrefois, et presque une maigreur sur le visage, très pâle autour de ses yeux verts à facettes, comme deux émeraudes piquées de soufre et d'azurite. Je m'attendais si peu à la voir. Il ne vient jamais de visite, ici, en- dehors de Paolo qui m'apporte le ravitaillement, chaque mercredi vers onze heures, mais il ne s'attarde pas, et une fois sur deux il oublie les livres que je lui ai demandés, ou il prétend qu'ils ne sont pas arrivés. [...]

[Passage 2, p. 7]

Louise s'est installée dans un des fauteuils du « salon ». L'inclinaison du sol la perturbait, visiblement, j'ai même cru qu'elle allait se sentir mal. Tandis que sur ce siège redressé par des cales sous les deux pieds de gauche, elle retrouve son aise, et presque le sourire. Elle aurait voulu que j'aère un peu. Ça sentait le renfermé. On respirait mal. Mais j'ai tout de suite prévenu son geste, il ne faut jamais ouvrir une fenêtre en hiver, et toujours refermer la porte aussi vite que possible. À cause de la mouche. Enfin, je ne lui ai pas parlé de la mouche, elle n'aurait pas compris, ou se serait moquée de moi. De toute façon, il fait très froid dehors, et le vent souffle fort, surtout en soirée. Mieux vaut garder tout fermé.

[Passage 3, p. 21]

— Est-ce que tu les as abandonnés... juste après mon départ? — Je ne les ai pas abandonnés, Léo. (Un temps) On m'a chassée. Expulsée de chez moi, du jour au lendemain. — Et sous quel motif? — Il était bien placé pour tout comprendre. (Un temps. Ironique) L'immaculée conception... Je crois que pendant toutes ces années, il ne s'était douté de rien. Il me prenait pour une femme étrange, un peu folle peut-être, mais il s'en était fait une raison. Il me tolérait. Tout le monde me tolérait. Sa famille, ses enfants. Nos enfants. (Un temps) J'étais encore plus étrangère que toi, dans ce pays. C'est pas seulement une affaire de passeport. — (Presque pour soi) N'empêche que si j'avais eu un passeport suisse, j'aurais pu rester. J'aurais même touché une rente invalidité...

[Passage 4, p. 26]

[...] La direction n'y trouverait rien à redire. Chaque être humain a droit à un peu de compagnie, et pendant toutes ces années, je n'avais pas coûté cher. Toujours cet esprit pratique qui ne le quitte pas. J'apporterai des double portions, qu'il a encore crié depuis son petit bateau, avec un grand sourire. (Un temps) Double, c'est peut-être beaucoup. (Un temps) De toute façon, elle mange tellement peu.

Transcription of A-17-a En mer, récit (genetic witness of the NRF version, 1999)

To the witness description

EN MER
[Passage 1, p. 1]
Regardez-moi ces autres, j'entends ceux de la terre, parce que nous on est de l'eau, et ça fait une grande différence
C. F. Ramuz, La beauté sur la terre
I

De loin, je n'avais d'abord vu que la tache rouge de son coupe-vent de nylon. Elle était assise sur la banquette arrière de la petite vedette de Paolo. Ensuite, j'ai mieux distingué la chevelure, longue et noire. Louise portait une coupe garçonne, à l'époque, presque en brosse, mais tout cela a bien sûr eu le temps de pousser, en dix ans. C'est quand elle est parvenue sur le pont, après une escalade maladroite de l'échelle, que je l'ai vraiment reconnue. La même sveltesse qu'autrefois, et presque une maigreur sur le visage, très pâle autour de ses yeux verts à facettes, comme deux émeraudes piquées de soufre. Je m'attendais si peu à la voir. Il ne vient jamais de visite, ici, en-dehors de Paolo qui m'apporte le ravitaillement, chaque mercredi vers onze heures, mais il ne s'attarde pas, et une fois sur deux il oublie les livres que je lui ai demandés, ou il prétend qu'ils ne sont pas arrivés. [...]

[Passage 2, p. 4]
II

Louise s'est installée dans un des fauteuils du « salon ». L'inclinaison du sol la perturbait, j'ai même cru qu'elle allait se sentir mal. Tandis que sur ce siège redressé par des cales sous les deux pieds de gauche, elle retrouve son aise, et presque le sourire. Elle aurait voulu que j'aère un peu. Ça sentait le renfermé. On respirait mal. Mais j'ai tout de suite prévenu son geste. À cause de la mouche. Enfin, je ne lui ai pas parlé de la mouche, elle n'aurait pas compris, ou se serait moquée de moi. D'ailleurs, il fait très froid dehors, et le vent souffle fort, surtout en soirée.

[Passage 3, p. 13]

— Est-ce que tu les as abandonnés... juste après mon départ? — Je ne les ai pas abandonnés, Léo. On m'a chassée. Expulsée de chez moi, du jour au lendemain. Il était bien placé pour tout comprendre. L'immaculée conception! Je crois que pendant toutes ces années, il ne s'était douté de rien. Il me prenait pour une femme étrange, un peu folle peut-être, mais il s'en était fait une raison. Il me tolérait. Tout le monde me tolérait. Sa famille, ses enfants. Nos enfants. J'étais encore plus étrangère que toi, dans ce pays. C'est pas seulement une affaire de passeport.

C'est à moi qu'elle dit ça... Si j'en avais eu un, de passeport, j'aurais au moins pu toucher une rente invalidité. Mais elle retrouve tout à coup le sourire, presque désinvolte.

[Passage 4, p. 17]

[...] La direction n'y trouverait rien à redire. Chaque être humain a droit à un peu de compagnie, et pendant toutes ces années, je n'avais pas coûté cher. Toujours cet esprit pratique qui ne le quitte pas. J'apporterai des doubles portions, qu'il a encore crié depuis son petit bateau, avec un grand sourire.

Doubles portions, c'est peut-être beaucoup. Elle mange tellement peu.